Qui sommes-nous ? Vaste question que Stéphanie Solinas n’en finit pas de poser sous des formes variées - photographie, film, installation, livre...
Au sommet d’une pyramide, l’œil de la providence flotte et veille. C’est ce dessin occulte, reproduit au verso des billets américains d'un dollar, qui décide Stéphanie Solinas à sillonner la Côte Ouest des États-Unis, de la mystique Sedona, en Arizona, à la Silicon Valley, en Californie, berceaux respectifs du New Age et de la technologie de pointe. Ce road trip est la troisième étape d’une odyssée existentielle entamée en 2014, en Islande. Déjà, l’archipel de glace épouse la forme en « rhizome » de ses recherches « sans point de départ ni d’arrivée », fouillant « la pensée à l’œuvre dans l’opération même de voir », en même temps qu’elles ouvrent une enquête jamais classée. Les suspects sont coriaces : identité, mémoire, ces grands mots qui séparent l’être du néant, la science de la foi. Dans le premier chapitre baptisé Le Pourquoi Pas ?, comme le navire d’exploration polaire du commandant Charcot, des elfes voisinent avec des roches, des médiums avec des aurores boréales. En 2018, pour L’inexpliqué, Solinas s’en va recenser des miracles en Italie - la liquéfaction du sang séché de Saint Janvier, martyr décapité en 305, dans la chapelle San Gennaro à Naples, la procession de la statue de Saint-Dominique, bénédictin du Xe siècle, recouverte de serpents vivants à mesure qu’elle traverse le village de Cocullo dans les Abruzzes - et ne quitte plus la chambre photographique de sainte Thérèse de Lisieux, empruntée au Musée Nicéphore Niépce. Depuis 2017, elle poursuit, avec Devenir soi-même, sa quête outre-Atlantique, au royaume du développement personnel : en écho aux Twentysix Gasoline Stations d’Ed Ruscha, douze « stations » et autant de paliers sur les chemins de la connaissance actent ses rencontres préméditées avec le directeur de l’intelligence artificielle de Facebook, une chaman, un transhumaniste, un prêtre cherokee, un astronome… Ou la fondatrice d’Alcor, société de cryogénisation post-mortem, dont la voix se mêle à la sienne au-dessus des nuages, à la tombée du jour. Un montage d’images, de preuves tangibles que la Rochefoucauld disait vrai : « Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder fixement ».
Stéphanie Solinas, Le soleil ni la mort, delpire & co,
Connaissance des arts, Jul - Aug 2022.