Ni lyrique ni géométrique, l’abstraction selon Martin Barré (1924-1993) n’a jamais pleinement adhéré aux idées énoncées par sa génération – Soulages, Hantaï, Morellet, Kelly, figures maintes fois consacrées. Une indépendance d’esprit qui explique sûrement pourquoi sa dernière exposition d’envergure, au Jeu de Paume, remonte à 1993. Alors que le polyptyque L’Indissociable (1977-1978), qu’on n’avait plus vu depuis 1979, lézarde les murs du niveau 4, la galerie 3 rejoue 66 variations sur le même thème : la ligne, sa grande affaire. Dans la première salle, six toiles consomment sa rupture avec le postcubisme et la seconde école de Paris : défaite, la forme y capitule face à la ligne, « dont le tracé irrégulier n’est le fait d’aucune expressivité mais du simple acte de peindre ». Ce que les vingt-sept suivantes confirment : traits mais aussi gestes, les lignes fendent l’espace, activant sur leur passage le fond de la toile et sa périphérie, comme dans le quadriptyque éclaté (60-T-45, 1960), ou dans le nid gribouillé au coin supérieur gauche d’une surface laissée vide (60-T-31, 1960). Mais c’est avec son troupeau de Zèbres (1963-1967), surgi au beau milieu d’un sage parcours chronologique, que Martin Barré atteint le comble de son entreprise radicale : d’un même noir mousseux, « cravate », « lasso » ou « flèches » marquent au spray le grand « moment mythique » d’une œuvre bientôt mise en pause. En 1972, la machine Barré redémarre, déclinant à l’envi ses grilles hachées badigeonnées de blanc, et s’enraye, rattrapée par la figure qui revient, dans ses dernières séries, au premier plan : trapèzes et triangles rectangles occupent, dans une palette sucrée type « pompéienne », la place picturale à laquelle ils intentent simultanément un procès. Le tout selon un protocole aussi précis que les instructions d’accrochage de ce format prédelle, conçu pour être mis bas. Si elle n’entend pas « avérer la puissance du système » mais « pointer l’impossible achèvement du programme qu’il ouvre », sa méthode itérative finit surtout par devenir décorative.
Martin Barré, Centre Pompidou, Oct 14, 2020 - Apr 5, 2021.
La Gazette Drouot, n°44, Dec 11, 2020.