Tu es de bonne compagnie. Ta présence m’est, parmi toutes les autres, la plus agréable. Te voir me donne le sentiment de vivre ma vie, mais de la vivre vraiment, je veux dire de vivre ma vie vraie, sans forcer, comme une suite sans fin, du moins jusqu’à son terme, le bout de ma vie, de paroles et d’actes, de paroles et d’actes, d’événements, de joies et de malheurs. Ça ne tient pas à grand chose, presque rien, une façon de marcher, un pied devant l’autre, le pas réglé sur le tien, côte à côte, en silence, sur toute la largeur du trottoir et la longueur du jour. Auprès de toi, je me sens bien, je prends de la place, je vais quelque part. J’ai la conscience tranquille.
J’aime le tapis de mousse que laisse le lait frais dans la bouche. On le sert toujours dans un grand verre, le lait, pas un petit, ce serait ridicule. On boit un grand verre de lait, tout le monde aime ça. Le lait, ça ne fait pas débat. De tous les liquides, c’est le plus câlin, c’est aussi le plus blanc.
Sa lettre, à la fin, disait : “Je te choisis encore, je te préfère toujours.”
La nuit dernière, j’ai fait ce rêve affreux, celui où je perds mes dents. J’étais seule et je pleurais, je pleurais au téléphone, je devais aller aux urgences, en pleine nuit, je ne sais où. Je n’osais pas fermer la bouche de peur de sentir le sang, l’émail bouger, les gencives creuses… je bavais, j’avais mal, si mal, l’heure était grave, il fallait faire quelque chose, et vite. À l’autre bout du fil, il y avait une personne sans voix, ou ni voix ni personne d’ailleurs, d’ailleurs moi non plus, je ne disais rien.
Prendre un bain n’est pas une solution, au contraire. L’eau du bain ne m’inspire pas confiance, pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’on est nu dedans, jamais l’inverse, ou alors seulement par accident, qu’elle est nombreuse et nous tout seul, qu’elle a l’air sale et mal aimable, soit qu’elle nous brûle, soit qu’elle nous glace le sang, soit encore, et c’est pire que tout, qu’elle ne nous fasse ni chaud ni froid tandis qu’on reste plantés là en elle, je veux dire dans la baignoire, comme au milieu d’un lac tiède. Parce qu’elle nous colle à la peau et qu’elle laisse des plis dessus. Quand j’en ai vraiment assez d’elle, je la rince avec une autre eau qui sort pourtant du même trou, mais ça n’a rien à voir, parce qu’elle coule sans retenue, parce que que je la dirige et que je suis debout. Les larmes, en revanche, me plaisent bien. Cette eau-là est utile, il n’y a rien de triste, c’est même prodigieux cette mer qui monte et gicle entre les cils : quand on l’avale, tout est passé. Le sel distrait, il sèche la peine.
J’ai envie de danser seule, les yeux fermés, avec les tiens posés sur moi, et que ça dure. Braver, tant qu’il y aura du bruit, ces interdits que permet la nuit. Comme sur la moto, quand je te serrais fort pour que tu accélères encore, et que tu t’exécutais, et que j’aurais pu nous tuer. Je sais maintenant que je ne voulais pas mourir, pas déjà.
Les sushis défilent au ralenti comme des valises défraîchies. Ce n’est pas très convaincant. Leur petit numéro s’arrête net ou s’éternise, ça dépend. Les élus sortent du rang, la plupart continuent leur route en zigzag, orphelins. Où vont les sushis qu’on ne choisit pas ?
Sa lettre disait aussi : “Crois-moi, je ne te veux aucun mal”.
Boire du café, c’est aussi manger un peu.
Je n’aime plus la ville. En ville, je tourne en rond. J’ai mes habitudes. Un jour chasse l’autre, je reviens sur les mêmes lieux. Ils m’attirent comme un aimant et quand je leur suis infidèle, je le paye cher, très cher. À la campagne, on peut passer des journées entières sans croiser son reflet et c’est très bien. Ici, il y a trop de vitres, d’effets miroirs.
Losers, screenplay for the short film directed by Roch Deniau, 3''30'.