Décidément, l’art vif de l’allemand Günther Förg (1962-2013) a le vent en poupe. Début décembre, l’une de ses toiles tardives, constellation de touches franches peintes à l’acrylique et à la craie, faisait sensation chez Millon. Sa palette enlevée infuse ce printemps le bel espace parisien d’Almine Rech, qui lui rendait à Londres deux précédents hommages. De larges aplats jaune, vert, orange et noir recouvrent en partie la salle principale, sinon occupée par onze photographies hautes comme des tours, formant un angle bas. La série, prise en noir et blanc dans les années 2000, flatte les volumes géométriques bâtis sur une aire d’autoroute du Jura selon les plans de Claude-Nicolas Ledoux, architecte des Lumières dont le chef d'œuvre utopiste - la Saline Royale - se visite dans le coin, à Arc-et-Senans. Les vues de sites remarquables sont courantes chez Förg, qui collectionne les gravures de Piranèse. À Capri comme à Vienne, il capture les édifices fascistes - la Casa Malaparte, la Maison Wittgenstein - dont les motifs migrent de la photographie vers la peinture, dans un jeu de vases communicants. Ce que l’exposition démontre, alignant dans la pièce suivante cinq petites acryliques sur bois, toutes encadrées, datées et signées par l’artiste : d’épaisses empreintes rectangles y sont laissées en évidence, tandis qu’en face, deux toiles, elles aussi minimales et sans titre, rappellent, à gauche, la trame d’un damier, à droite, ses premiers monochromes noirs auxquels une couche de gris translucide donnait un fini laiteux. La dernière salle nous en dit plus sur l’indépendance de ce pseudo néo-expressionniste que les “situations limites” enchantent : une suite de Grid Paintings y opère la synthèse entre La Mort de Marat, peinte par Munch en 1907, et le bâtiment du Bauhaus de Dessau, dressé par Gropius en 1925. Förg cite ses sources - les abstractions de Barnett Newman, Cy Twombly, De Kooning, Fautrier - et produit en série des adaptations libres, toujours en prise avec leur époque. Comme si son œuvre ludique, attentive, n’était ni plus ni moins qu’une variation sur le même thème : la modernité.
Günther Förg, A Game of Chess, Almine Rech Gallery, Mar 05 - Apr 10, 2021.
La Gazette Drouot, n°11, Mar 19, 2021.