Tandis que le Petit Palais consacre Albert Edelfelt, autre gloire de la peinture finlandaise, le musée Jacquemart-André honore Akseli Gallen-Kallela, de onze ans son cadet. La nature est un temple pour ce patriote mystique parti, dans la forêt nordique, en quête de sens.
Déterminés, un père et son fils s’élancent sur la neige dans la lumière fauve d’une fin d’après-midi. Leurs mains et leurs visages sont écarlates, comme leurs skis et leurs bâtons, plantés dans la glace bleue que le soleil couchant ne réchauffe plus. Les Skieurs Akseli et Jorma Gallen-Kallela (1909) incarnent des valeurs simples et immuables – l’effort, la famille – dans un cadre idéal : la nature à l’état pur. C’est elle qui appelle Akseli Gallen-Kallela (1865-1931), peintre, mais encore photographe, graveur, sculpteur, graphiste et créateur de mobilier, né Axel Waldemar Gallén, artiste total, finnois jusqu’à l’os. Elle qui envahit les salles étroites du musée Jacquemart-André, alignant, entre deux arborescences du scénographe Hubert Le Gall, soixante-dix peintures, gravures et aquarelles venues du musée Gallen-Kallela d’Espoo et d’ailleurs. Plus qu’un invariant, le paysage est l’acmé du répertoire de ce néoromantique dont le style changeant, découvert en France en 2012 lors d’une rétrospective au musée d’Orsay, suivra sa vie durant les modes de son temps – naturalisme, expressionnisme, symbolisme. Et pour cause, cet exalté que l’esprit d’aventure mènera du Nouveau Mexique au Kenya, trouve dans les forêts de sa terre natale le sauvage, le primitif que Gauguin, comme lui, cherche en peinture. Formé à Paris dans les années 1880, à l’académie Julian d’abord, dans l’atelier de Fernand Cormon ensuite, Gallen-Kallela passe ses étés au cœur de la Finlande, dans le village d’Ekola à Keuruu. Il y prélève des motifs paysans, peints en vérité et montrés en 1889 à l’Exposition universelle à laquelle il destine le triptyque de la Légende d’Aïno. Inspirée de la Jeanne d’Arc de Jules Bastien-Lepage, l’œuvre cite surtout Le Kalevala, épopée populaire du folkloriste Elias Lönnrot parue en 1835, compilant poèmes et chants des bardes de Carélie, berceau de la mythologie et par conséquent de l’identité nationale, qu’il sillonne en compagnie de Mary Slörr, sa femme et muse. C’est elle qui pose, le visage doux, voilé de noir et cerné de roses, tissant à Kalela, la maison-atelier qu’il construit de ses mains en 1894 à Ruovesi, au bout d’une presqu’île ouverte aux quatre vents. Dans ce refuge isolé fait à son image, Gallen-Kallela crée, sous l’influence de William Morris et du mouvement Arts and Crafts : il s’essaie à la gravure, apprise à Berlin auprès de Joseph Sattler et signe, entre autres, un vitrail chauvin (Finlande, lève-toi, 1896), et un tapis de laine façon ryijy, technique artisanale de tissage à points noués (Flamme, 1902). Ses planches botaniques disent encore son attention à la flore locale, tandis qu’une étude pour le décor du mausolée de Sigrid Jusélius – qui l’absorbe de 1901 à 1903 — scelle l’union du printemps et de la mort. Le souvenir de celle, subite, de sa fille aînée Marjatta, emportée par la diphtérie en 1895 à l’âge de 4 ans, reste intact et la question de la fin, déjà latente dans La Rivière des morts (1893), réplique de l’île funèbre d’Arnold Böcklin, résonne dans ses visions du cosmos nourries des récits de l’astronome Camille Flammarion. Ainsi d’Ad Astra (1907), résurrection d’un Christ femme aux cheveux roux montrant ses stigmates devant une étoile énorme. La paix règne dans les deux dernières salles, pleines de lacs et de sous-bois immobiles que chahutent ombres et reflets. Sous un manteau de neige, une mer de nuages, la vie palpite, en toute saison. Dans ce paradis blanc bientôt perdu, Gallen-Kallela revient aux origines du monde.
Gallen-Kallela, mythes et nature, Musée Jacquemart-André, Mar 11 - Jul 25, 2022.
La Gazette Drouot, n°13, Apr 1, 2022.