Qu’est-ce que le paysage ? Vaste question posée ce printemps par le Louvre-Lens qui retrace, en 170 éléments de réponse, l’histoire d’un genre pictural, de la Renaissance à nos jours.
Près des terrils jumeaux de Loos-en-Gohelle, la silhouette discrète du Louvre-Lens se fond dans le décor. Sa surface est réfléchissante de sorte qu’il n’y a, entre cette architecture de verre doublée d’aluminium et ce qui l’entoure, aucune rupture. La visite commence donc ici, en plein air : car se tenir devant le musée-parc bâti sur un ancien carreau de mine revient à admirer un paysage, autrement dit une « étendue de pays que l’œil peut embrasser dans son ensemble ». À l’intérieur, une salle obscure entre dans le vif du sujet, au son des accords stridents posés par Philip Glass sur Koyaanisqatsi, la prophétie de Godfrey Reggio : là, cinq écrans diffusent en boucle des extraits de films revenant à l’origine du monde. Le mythe de la création est l’une des deux métaphores filées par cette exposition pensée par la directrice, Marie Lavandier, de concert avec Vincent Pomarède, conservateur général du patrimoine au Louvre, et Marie Gord, attachée territoriale de conservation au Louvre-Lens : peindre un paysage, c’est quelque part se mesurer à Dieu. À la théorie du démiurge, s’ajoute celle du tableau comme « fenêtre ouverte », énoncée par Alberti en 1435. En pratique, cinq chapitres et 170 œuvres retracent l’histoire de la peinture de paysage, genre accessoire devenu dominant au XIXe siècle.
La scénographie du plasticien et vidéaste Laurent Pernot est un jardin en soi où les cimaises, au son des musiques de Purcell, Schubert, Erland Cooper ou M83, imitent un buisson, une pierre, un soleil couchant. Singulièrement bas, l’accrochage renforce le côté immersif de l’éclairage, variable partout et particulièrement sur six toiles, encaissées dans des boîtes magiques dont la lumière changeante en modifie la lecture : soudain, le cimetière de La Baie d’Along de Marie Anatole Gaston Roullet, nommé peintre officiel des Colonies et de la Marine en 1885, ne se voit presque plus sous les faisceaux bleu nuit qui, à l’inverse, rendent saillant le voilier voguant à l’arrière-plan. Plus loin, Le Printemps de Millet n’a jamais paru si vivant, hésitant pour de vrai entre la pluie et le beau temps. Le soleil se fait rare à mesure qu'avance le parcours : ouvert sur une petite tablette votive babylonienne en terre cuite, figurant deux hommes-taureaux autour d’un palmier coiffé d’un astre tout-puissant, il s’achève sur une vidéo d’Anne-Charlotte Finel épiant un troupeau de biches égarées à l’orée de la ville et à la tombée du jour. Entre l’aurore et le crépuscule, artistes de tous horizons capturent la nature, soucieux d’en bien saisir les « ornements », le rythme, le spectacle, quand ils ne la réinventent pas. Leurs manières et leurs outils diffèrent, comme en attestent – entre autres manuel pédagogique, paésine et chambre noire – la boîte de peinture de Corot ou le cercle chromatique de Kandinsky.
Si les scènes de tempêtes, de batailles et de ruines lassent, les nuages de Delacroix et les rochers de Monet ravissent, autant que les eaux calmes du canal de Santa Chiara vu par Canaletto. Près d’un curieux bouclier d’apparat peint sur bois par Hans Steiner pour un aristocrate germanique, la douceur de Le Sidaner fait effet : le Presbytère et l’église de Gerberoy, coquet village de l’Oise, sommeillent sous un ciel rose pâle et tout, dans l’atmosphère, rappelle les paradis perdus de Proust. Le mot de la fin revient à George Sand, dont une aquarelle de marais imaginaires surprend avant la sortie. En 1872, déjà, elle craignait le pire : « Quand la terre sera dévastée et mutilée, nos productions et nos idées seront à l’avenant des choses pauvres et laides qui frapperont nos yeux à toute heure. »
Paysage, fenêtre ouverte sur la nature, Louvre Lens, Mar 29 - Jul 24, 2023.
La Gazette Drouot, n°17, Apr 28, 2023.