Plus vu à Paris, ou si peu, depuis le centenaire de sa naissance au musée national d’Art moderne en 1961, l’égal de Rodin et Bourdelle revient ce printemps à Orsay, qui donne l’avantage à ses œuvres eurythmiques d’avant-guerre.
Qu’il semble doux, ce parterre pistache où deux jeunes filles sages et de profil, l’une debout, l’autre assise, tressent une couronne de marguerites, sous une branche de figuier. Mise à l’entrée, à gauche d’un autoportrait rustique dans la veine de Courbet, la scène apaise et ce qui suit – 200 peintures, sculptures, dessins, gravures, objets divers – est à l’avenant. Sa vie durant, Aristide Maillol, esprit moderne fâcheusement réduit aux bronzes tardifs des Tuileries, cherche la volupté stable, et déjà dans cette toile de synthèse achevée en 1889, tout en aplats et effets décoratifs, rien ne vient gâcher le plaisir des sens. Y pointe l’influence de Gauguin, de Seurat et Puvis de Chavannes, tandis que l’ombre de Whistler et de Pisanello plane sur les portraits voisins où posent, la bouche pincée et le regard vague, sa tante Lucie et les filles du sculpteur Gabriel Faraill. L’agilité de Gauguin, dont l’intelligence de la main saisit, guide Maillol vers une pratique mixte : encouragé par la princesse Bibesco, son premier mécène, il s’essaie à la broderie, à la céramique et au bois sculpté. Entre une tapisserie figurant deux élégantes en grande conversation (Le Jardin, 1899) et une fontaine d’appartement imitant la faïence de Rouen (Fontaine, vers 1902), une belle accroupie agite ses voiles sur un relief en écorce de poirier (Danseuse, vers 1895). Maillol l’esquisse au crayon avant de creuser le bois en taille directe, tandis qu’il peint le dos nu et laiteux d’une brune attaquée par l’écume (La Vague, 1894). Le thème des baigneuses l’absorbe durablement, ainsi qu’en attestent ses gravures des Églogues de Virgile, parues en 1926 chez Cranach-Presse, maison du comte Harry Kessler, son fidèle bienfaiteur, ou la Femme à la vague, son huile favorite déclinée en fusain, en écran de cheminée, en estampe et en plâtre, lequel annonce la massive et grave Méditerranée dont deux versions – l’une en pierre, destinée à Kessler (1905), l’autre en marbre, promise à l’État français (1923) – se font face, à deux pas de la Seine. « Elle est belle, elle ne signifie rien », en dira Gide, et il n’a pas tort. Toujours est-il que sa peau lisse, ses formes pleines et simples signent le « retour à l’ordre » appelé par le siècle nouveau, en même temps qu’elles arrêtent l’anatomie type des nymphes de Maillol, toutes puissantes. Autour d’elles gravitent les toiles de Bonnard, Denis, Vuillard, Renoir, nabis amis et modèles eux aussi. Mais c’est dans la nature de son Roussillon natal que le Catalan, basé sinon à Marly, glane l’essentiel de ses motifs : il faut voir le court-métrage de Jean Lods, tourné en 1943 au creux de la vallée de la Roume, chez le maître de Banyuls. Sur ses terres foulées d’un pas lent et fier, Maillol chante, pense, crée sans fin et sans effort, comme les saisons mûrissent leurs fruits. Artisan classique, à la grecque, il n’a bâti sur son travail aucune théorie, trop occupé à atteindre la perfection. Ainsi du Monument à Cézanne, allégorie « d’une noble cadence », bombant le torse « comme une barque sa proue », près duquel défilent ses variations sur Clotilde Narcis, épouse aux jambes solides et aux « seins épatants », et sur Dina Vierny, muse ultime d’Odessa devenue, à force de zèle, sa parfaite exécutrice testamentaire. Le parcours se clôt sur La Rivière (1938-1943), colosse tombé à la renverse au pied de La Montagne (1937), impénétrable. La vie palpite sous leur chair dodue modelée dans un souci de paix.
Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l'harmonie, Musée d’Orsay, Apr 12 - Aug 21, 2022.
La Gazette Drouot, n°17, Apr 29, 2022.