«Empreintes de pinceau n° 50 à intervalles réguliers de 30 cm» annonce une feuille épinglée à l’entrée de la galerie au-dessus d’une autre, celle-là manuscrite, datée de ce mois-ci et signée «N.T». «N’en déplaise à ceux qui n’/m’aiment pas, je suis encore là, mais toujours porteur du pittura-virus», ironisent les bandes en capitales rouges. Impayable Niele Toroni. Né en 1937 à Muralto, sur les rives du lac Majeur, il est le «T» de la constellation BMPT que forment avec lui Buren, Mosset et Parmentier dans le climat radical de Mai 68. Ni tout à fait les mêmes ni tout à fait autres, ses empreintes donc, tracées pour la première fois en 1967 au musée d’Art moderne de Paris, gardent, un demi-siècle plus tard, ces distances que calibraient déjà alors compas et niveau : sur le mur du fond, les toiles aux carrés rouge, jaune, bleu, gris, suivent une horizontale impeccable. À droite, orange ou noire, elles dessinent une ligne brisée. Derrière, à la verticale, des carrés rouges planent au-dessus de carrés noirs. Que signifient ces touches sur toiles rectangulaires, rondes ou carrées dont le nuancier est, comme le geste, minimal ? Toroni seul sait, passant son temps à «remplir tout ce qui est blanc et créer la forme sans idée […] préalable» : «Il ne s’est jamais agi pour moi de me servir d’objets (de formes, de matériaux) préexistants et de jouer sur leur déplacement (dépaysement). L’empreinte de pinceau n° 50 résulte et témoigne d’un faire pictural, elle ne le précède pas.» Sans logique ni message, toute sa peinture procède d’un «apprentissage de la vision». Comme dans ses récents collages sur carton plume, où les empreintes d’aujourd’hui se superposent à celles d’hier que montrent des vues d’expositions passées. Point de nostalgie, la tâche continue.
Niele Toroni, Un tout de différences, Marian Goodman Paris, May 16 - Jul 25, 2020.
La Gazette Drouot, n°22, Jun 5, 2020.