Il est encore temps. C’est, en substance, le message qui recouvre les murs en brique du Wiels. De gauche à droite, de haut en bas, en travers, partout l’œil circule et ne s’arrête jamais. Maître inégalé de l’accrochage foutraque et au scalpel, Wolfgang Tillmans (né en 1968) nous donne une nouvelle leçon d’associations libres, à coup de scotch, de pinces et de clous, ou d’immenses cadres blancs et grand luxe : deux étages condensent la somme d’instantanés prélevés au fil de ses pérégrinations depuis la décennie 90, quand il documentait les scènes alternatives – gay, mode, techno. Dans l’espace envahi donc, l’image n’est jamais célibataire, comme si elle ne pouvait bien se lire que mise à côté d’une ou de plusieurs autres, n’ayant du reste, a priori, rien à voir. Ainsi de cette séquence qui trace une ligne entre un soleil vert tombant dans un océan mandarine (6407-35, 2007) et un scan géant, traversé par une question brûlante et en toutes lettres : « How likely is it that I’m only right in this matter? ». Entre romantisme et fake news, Tillmans, irréductible Européen dont la campagne anti-Brexit résonne encore, balance. Le réel l’absorbe et tout lui importe : l’entrejambe déchiré d’un blue-jean, une poire entamée, quatre coquilles d’œufs, une partie de cartes dans les rues de Hong Kong, deux paires de gants jaunes séchant à la fenêtre embuée d’un atelier humide… On ne dit rien lorsqu’on dit que certains morceaux choisis, croisés à la Tate Modern de Londres, à la Fondation Beyeler de Bâle ou au Carré d’art de Nîmes, nous sont familiers : le déjà-vu n’existe pas chez celui qui ne tire jamais deux fois ses images au même format. L’artiste ne se répète pas, il chante (des musiques électroniques), filme (l’écume de mer), déclame (un scénario fictif sur l’invasion technologique)… Un grand ensemble dont les sous-ensembles impriment l’air du temps d’un parfum follement optimiste.
Wolfgang Tillmans, Today Is The First Day, WIELS, Feb 2 - Aug 16, 2020.
La Gazette Drouot, n°08, Feb 28, 2020.