Il faut d’abord s’enfoncer dans l’épaisse forêt de chênes verts que des « bouts de bois brûlés » déploient grandeur nature face à l’entrée de la galerie. C’est celle du bosco de la villa Médicis, pendant sauvage des quadri courtois que réservait jadis le cardinal Ferdinand à ses parties de chasse. Ancien pensionnaire à l’Académie de France à Rome, Thomas Lévy-Lasne, « peintre traditionnel », connaît bien ce parc « scintillant et immémorial », peuplé d’arbres malades menacés par des « vents nouveaux ». Immense, romantique, inquiétant, il est le premier d’une série de seize « paysages tragiques » et actuels, relevant d’une même tentative d’« esthétisation calme du réel ». Partout, la manière est classique, le geste appliqué. Seul le sujet dénote : comme si les motifs sans qualités d’une époque amorphe et en manque de mythes avaient contaminé le noble répertoire de la grande peinture. Au rez-de-chaussée, de part et d’autre du bosco, sept fusains sur papier observent, de lieux communs (salles de concert, cinéma, théâtre, chambre d’hôpital) en non-événements (un feu d’artifice, un bal de village), les rites de la société du spectacle. À l’étage, sous la verrière, neuf huiles sur toile dépeignent les panoramas désolés de sites sinistres rongés par un « mal invisible » : la forêt rousse de Tchernobyl, les dunes normandes, le camp d’Auschwitz-Birkenau ou le Biodôme de Montréal, réplique artificielle d’un écosystème à l’agonie. Rien ne va plus dans ce monde que Lévy-Lasne regarde d’un œil tendre. Ainsi de cette horde de touristes désabusés, suspendus aux lèvres d’un guide prêchant la bonne parole sur ce qui se passe de commentaires : un arbre. Beaux et tristes à pleurer, ses tableaux ultra-léchés sont pleins du gai savoir moderne. L’effet produit n’est pas celui d’un hymne à la joie, mais d’un remède possible à la mélancolie.
Thomas Lévy-Lasne, L'asphyxie, Galerie Les Filles du Calvaire, Sept 4 - Oct 24, 2020.
La Gazette Drouot, n°32, Sept 18, 2020.