Alors que la planète s’embrase et que les débats sur l’appropriation culturelle n’ont jamais été aussi vifs, le Centre Pompidou-Metz célèbre l’éternel retour en grâce des arts et traditions populaires.
Venu de l’anglais, le mot, inventé en 1846, est la somme de deux autres, folk, «peuple», et lore, «savoir». Par snobisme ou malentendu, ce terme, assimilé à l’histoire ancienne – soit l’exact opposé de l’avant-garde –, se fait sans ménagement évincer du vocabulaire scientifique. On lui préfère celui de tradition, d’art populaire, on le confond avec une autre discipline – l’ethnologie –, une autre catégorie – le patrimoine culturel immatériel –, si bien qu’en fin de compte on ne sait plus de quoi le folklore est le nom. Un flou que cette exposition foisonnante, et pourtant lacunaire, entend rendre net, et d’entrée de jeu. L’antichambre d’un labyrinthe de salles sombres, formant autant de croix que de carrefours entre les civilisations, effeuille au mur une quantité d’ouvrages conservés au musée national des Arts et Traditions populaires, ce laboratoire que fonde en 1937 par Georges Henri Rivière – parmi les premiers à considérer le folklore comme «le signe matériel de quelque chose de vivant». Cette installation donc, conçue par des étudiants de l’École supérieure d’art de Lorraine, donne le la d’un discours choral sur un mot-valise à cheval entre art et sciences humaines qui, si sa définition jamais ne se stabilise, aura toujours été et reste encore un terreau fertile, dont les graines germent dans des mains qui ne les ont pas plantées. Il est la source d’inspiration à laquelle viennent de tout temps s’abreuver les créateurs du “Tout-Monde” théorisé par Edouard Glissant, poète de “la pensée Ainsi de Sérusier et de la bande des nabis, que la quête des origines – cet obscur objet du désir – conduit en Bretagne, là où Gauguin dit trouver «le sauvage, le primitif», et rencontrer un écho favorable : «Quand mes sabots résonnent sur ce sol de granit, j’entends le son sourd, mat et puissant que je cherche en peinture.» Plus loin, la même soif d’authentique dans une modernité jugée factice pousse, comme un seul homme, Kandinsky à fouiller les «survivances archaïques» en Vologda, Gabriele Münter et la horde du Blaue Reiter, les coutumes bavaroises, Brancusi, Mihai Olos et Mircea Cantor, les mythes roumains d’Olténie. C’est elle qui conduit Natalia Gontcharova à interroger les motifs ibériques typiques, Asger Jorn et Emil Nolde, les croyances montagnardes, André Breton, le celtisme, Joseph Beuys, le chamanisme… De sorte que l’exposition, fourre-tout comme son sujet, brosse un portrait de l’artiste en folkloriste, prolongeant à coup d’enquêtes et de collectes la mission ancestrale du colporteur d’oralité. Jusqu’à montrer où et comment le thème dérape, récupéré par les idéologies nationalistes ou le tourisme de masse : on y voit la «Farandole provençale» faire sensation en 1939 à l’Exposition internationale de New York, le maréchal Pétain se faire tailler un santon à son effigie, les sommets suisses faire papier peint. Pétri de paradoxes, le folklore fabrique des fétiches pittoresques, qui remplissent les vitrines de musées fans de couleur locale – façon «cabinet de curiosités» de Marcel Broodthaers ou «musée d’anthropologie active» de Claudio Costa dans les années 1970 – comme les poches de cette Usine à divertissement (2016) que moque Bertille Bak dans un triptyque vidéo acide. Confondant circulation des savoirs et trafic de produits dérivés, celui-ci est l’attraction d’une ultime séquence hasardant un folklore sans frontières, capable, d’après Pierre Huyghe, “d’accentuer le coefficient de fiction contenu dans la réalité”. Comme si, hors-sol, le monde d’aujourd’hui n’avait peut-être jamais autant cherché à renouer avec ses racines. Ce que l'esprit surréaliste Benjamin Péret disait déjà en 1947 : “Les superstitions chez les peuples évolués constituent l’unique lueur poétique de ces peuples dans la nuit accablante d’une existence de bêtise et d’ennui.”
Folklore, Centre Pompidou Metz, Mar 21 - Oct 4, 2020.
La Gazette Drouot, n°26, July 3d, 2020.