J’ai le plaisir coupable. Toujours et en tous lieux. La faute aux premières fois : des étreintes un peu forcées, un peu feintes, tous les jours, deux fois par jour, pendant six mois, dans le secret d’un placard meublé de la rue Bernard Palissy, trottoir de gauche. Une rue tordue, courte et étroite, dans le genre médiéval, qui fait un coude depuis le Monoprix en bas de la rue de Rennes pour se jeter dans celle du Dragon. Une rue de lâche. J’aurais dû m’en méfier, avec sa gueule de repris de justice et son air de pas y toucher. Ici, le soleil ne se montre jamais, sans doute à cause des immeubles qui se frôlent du bout des toits, côtés pair et impair, et qui font comme un ciel où la nuit n’a pas de fin. Du plaisir, j’en ai eu là où il y avait de la gêne. Les deux ensemble, l’un dans l’autre, inséparables. Depuis, je fais avec. Je jouis et ça me rend malade. Je me sens dégoûtante, comme après un repas trop copieux, aussitôt regretté. Une chanson, de Brel je crois, dit : «Il faut bien que le corps exulte». Pas le mien. Il lutte, il tourne autour, se plie en quatre pour en donner à l’autre contre lui, du bon temps, qu’il prenne son pied, et qu’on n’en parle plus. Bon élève mon corps, le cœur sur la main. Bernard Palissy est né à Agen en 1510. Il est mort à Paris en 1589 ou en 1590, il y a un doute. Il était peintre verrier et moulait des poteries émaillées pour la cour du roi, des «rustiques figulines», avec un tas de plantes et d’animaux en relief dessus. Il y en a une que j’aime beaucoup, celle de sa fiche wikipédia, un plat ovale en céramique vert épinard avec un serpent d’eau qui rampe au milieu parmi les sandres, les fougères, les brochets et les carpes. Bernard Palissy était protestant. Il avait tellement la foi qu’il en est mort, dans une cellule de la Bastille, à cause des Chrétiens qui voulait le convertir et de lui qui ne voulait pas céder. Il est mort de faim ou de mauvais traitements, il y a un doute. Le plaisir, lui aussi, quelque part, il devait trouver ça vulgaire.
Encore somnolent, je déployais mes oreilles en fleur, le rayon vert . éditions, Dec 2020.