Pandémie oblige, Paris Gallery Weekend a dû se réinventer. Focus sur une 7e édition en tout point spéciale : elle qui devait jouer des coudes au printemps fera cet été cavalier seul.
Un ruban mandarine serpente dans la ville et montre la voie ; c’est un ruban pressé, en quête d’art moderne et contemporain. Le frétillant symbole de Paris Gallery Weekend ne sera pas de trop pour sortir les galeries d’une torpeur contrainte et forcée. Du 2 au 5 juillet, elles seront cinquante-neuf à ouvrir grandes leurs portes – restées closes, comme celles d’une foule d’autres «lieux publics non indispensables à la vie du pays», durant les cinquante-cinq jours d’un coma artificiel qui laisse le marché de l’art hagard, et ses acteurs sur les dents. C’est pour elles que Paris Gallery Weekend aura bien lieu : «Nous avons maintenu cette édition à la demande des galeries, ce que nous n’aurions pas fait si elles avaient été difficiles à convaincre. Elles tenaient à faire événement avant l’été, d’autant que beaucoup d’incertitudes pèsent encore sur la rentrée... Attendre d’avoir toutes les réponses pour agir aurait été un non-sens», estime la galeriste Marion Papillon, présidente du Comité professionnel des galeries d’art, qui prédisait le 8 avril dernier, dans un communiqué alarmant, la fermeture prochaine d’un tiers des espaces à travers l’Hexagone. «Notre structure étant petite et donc agile, il est plus facile de s’adapter aux circonstances», positive-t-elle pourtant. Un discours que partage Léo Marin, directeur de la galerie Éric Mouchet et nouveau membre du bureau, qui veille, «de votes en décisions collégiales», à faire de Paris Gallery Weekend un rendez-vous incontournable : «Nous avons bénéficié d’annulations et de reports en cascade. Certaines galeries qui avaient décliné notre offre sont revenues à la charge, d’autres ont immédiatement répondu à l’appel, d’autres encore se sont mobilisées spontanément. Résultat : nous n’avons jamais été aussi nombreux !»
La carte et le territoire
Parmi les nouvelles recrues, des poids lourds – Continua, Marian Goodman, David Zwirner – ou plume – Binome, Thierry Bigaignon, 8 + 4. Le constat est le même pour les revenants, où se croisent Chantal Crousel et gb agency, Almine Rech et Maubert. C’est l’une des signatures de l’événement, qui entend embrasser la scène parisienne dans toute sa diversité. «À terme, nous aimerions voir plus de petites structures intégrer notre fédération, à l’exemple de la galerie Jérôme Pauchant : il ne suffit pas d’être gros pour bien faire son métier», assène Léo Marin. Une question de taille, donc, mais aussi de géographie : déjà élargie à Pantin – Ropac marquant depuis 2016 une étape essentielle du parcours –, la carte s’étend cette année à sa voisine Romainville. «Il nous semblait naturel d’accompagner le mouvement du Grand Paris», commente Marie Delas, directrice de Paris Gallery Weekend. Les murs de brique d’anciens laboratoires pharmaceutiques réhabilités par la fondation Fiminco abritent Komunuma, la «communauté» que forment depuis octobre dernier les galeries Air de Paris, Sator, In Situ – Fabienne Leclerc et Jocelyn Wolff. Ainsi, le temps de ce long week-end, ce qui polarisera l’attention se situera bien sûr au centre de la capitale – 8e arrondissement, Saint-Germain-des-Prés, Marais – mais tout autant à la périphérie. Un Paris sans frontières, décidément unique : «Depuis leur création à Berlin en 2005, les Gallery Weekends ont la particularité de valoriser une scène au sens propre : les galeries émaillent la ville, comme autant de poumons entre musées et institutions, architecture et culture. Il s’agit d’une invitation à la pérégrination. Puisqu’une ville ne ressemble à aucune autre, il s’agit de cultiver nos différences», soutient Marie Delas.
French touch
Faut-il évoquer l’éternel retour de l’exception française ? Et pourquoi pas ? «Comme dans d’autres secteurs, il est urgent de défendre ce qu’il y a près de chez soi, les artistes français, mais aussi tous ceux défendus par les galeries françaises. On ne s’étonne pas quand les Allemands ou les Américains supportent leurs talents, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas en faire autant», argue Marion Papillon, convaincue que les Gallery Weekends offrent un précieux signe distinctif. «Si le modèle existe partout, de Bruxelles à Madrid, il se soustrait à la concurrence entretenue par les grandes foires internationales, qui accueillent toutes – ou presque – les mêmes galeries», analyse celle qui créait en 2014 la déclinaison parisienne de l’événement pour enrayer ce phénomène. À rebours de la standardisation galopante, Paris Gallery Weekend joue la carte du commerce de proximité et de la curiosité locale. Parmi les quelque cent quarante artistes que rassemblent les soixante-douze expositions figurant au programme 2020, une solide trentaine porte haut les couleurs de la création «made in France» d’hier et d’aujourd’hui. Les boîtes d’allumettes de Raymond Hains chez Max Hetzler, les abstractions géométriques d’Auguste Herbin chez Le Minotaure, ou une tapisserie du Corbusier chez Zlotowski côtoient les suspensions-souvenirs de Marie Lelouche chez Alberta Pane, les peintures jumelles de Bernard Piffaretti chez Frank Elbaz, les instantanés californiens de Jean-Philippe Delhomme chez Perrotin, les répertoires canins de Yann Sérandour chez gb agency, les vagues sur verre d’Anaïs Boudot chez Binome… De quoi, il faut l’espérer, retenir l’attention des collectionneurs.
Opération séduction
Oui, le pari de cette édition toute particulière ne se cantonne pas à la seule reprise de la vie culturelle parisienne. C’est de la relance du marché dont il est aussi question, comme se charge de le marteler le dernier des quatre infinitifs d’une communication bien huilée : «rencontrer, parcourir, découvrir, acquérir.» Et l’espoir est immense : «En 2019, 60 % des galeries disaient avoir conclu des ventes, et 64 % avoir noué de nouveaux contacts», se félicite Marie Delas, rappelant que «l’événement profite surtout à celles qui jouent le jeu et s’en emparent comme d’un outil pour inviter leurs clients et toucher de nouveaux collectionneurs». À tirer au but, Paris Gallery Weekend est roi : «Comme tout collectionneur, j’ai mes habitudes. Cet événement me permet de faire du hors-piste», commente Guillaume Schaeffer, grand amateur de photographie et membre des Sociétés d’amis du Jeu de Paume et du Centre Pompidou. «Je ne fais pas partie de ceux qui précommandent à distance dans les grosses écuries. J’ai toujours été attaché à la scène française : les artistes que je collectionne sont devenus des amis, que je suis fidèlement. Et Paris Gallery Weekend sait provoquer ce type de rencontres.» Entre «invitations privilégiées» et «petits mots personnalisés», l’équipe est à pied d’œuvre pour favoriser, sinon assurer, le succès commercial d’une édition sous haute tension, dont la fréquentation s’annonce, sans surprise, très nationale : «C’est le moment ou jamais pour les collectionneurs français de montrer qu’ils sont en mesure de soutenir leur marché. Ils y ont tout intérêt», assure Marion Papillon. «Tout le monde y met du sien, fournit sa liste de collectionneurs, tandis que Paris Gallery Weekend assure une redistribution suffisamment équitable pour que chacun y trouve son compte», garantit encore Léo Marin, qui, s’il ne table pas sur l’affluence de l’an passé – 7 500 visiteurs – ne peut que louer «une action menée par et pour les travailleurs de l’art, qui resserre les liens unissant le triangle d’or «galeriste, artiste, et collectionneur». Providentielle, la débâcle ? Toujours est-il qu’elle redonne tout son sens à une profession qui a plus d’un tour dans son sac : «À défaut de dîner de gala, nous invitons pour un temps d’échanges des collectionneurs qui, pour la plupart, fréquentent assidûment les foires sans jamais entrer dans une galerie. C’est pour eux l’occasion d’avoir accès à nos réserves, qui regorgent d’œuvres rares et confidentielles qu’on ne dévoile nulle part ailleurs.»
Paris Gallery Weekend, Jul 2 - 5, 2020.
La Gazette Drouot, n°25, Jun 26, 2020.