Intrépide, une jeune Taïwanaise à couettes se plante trois fourchettes et un couteau en pleine poire, et en toute délicatesse, dans une rue de Taipei. C’est une « sculpture d’extérieur » ou, plus exactement, la photographie d’une sculpture d’extérieur, l’une et l’autre signées Erwin Wurm, 65 ans, peintre manqué dont l’œuvre gaguesque et engagée amuse autant qu’elle dérange. Moins vues, ses photographies donc, mais aussi ses vidéos, parce qu’elles ne peuvent être réduites à une vulgaire étape vers le volume, habitent les deux étages nobles de l’hôtel Hénault. Puisant dans les archives du facétieux plasticien autrichien, cette exposition pensée par Laurie Hurwitz compile planches-contacts originales, anciens et nouveaux tirages et films au fil d’un accrochage impeccable. Qu’elles invoquent l’histoire de l’art et des idées (« Thinking about Philosophy ») ou enjoignent leurs modèles à prendre des poses bizarroïdes (« One Minute Sculptures »), voire franchement inappropriées (« How To Be Politically Incorrect »), ces images fixes et en mouvement, objets parmi les objets, déjouent l’obsolescence programmée à laquelle serait, en hypothèse, promis tout art performatif. Car celui de Wurm est fugitif. Erwin dit de cracher dans la soupe du voisin, Erwin dit de retenir son souffle en pensant à Spinoza… À peine le temps d’observer la consigne qu’il est déjà trop tard. Enregistrer l’expérience, c’est la retenir, en consigner la preuve pour mieux la produire, longtemps après que ses cobayes s’y soient livrés. C’est aussi faire œuvre en soi : comme lorsque cette adorable maison (Fat House), mi-nuage mi-chamallow, se demande de sa voix ronde et grave si elle n’est pas en réalité une bête de foire d’art contemporain. Entre rire ou réfléchir, il ne faut pas nécessairement choisir.
Erwin Wurm, Photographs, Maison européenne de la photographie, Mar 3 - Oct 25, 2020.
La Gazette Drouot, n°11, Mar 20, 2020.